La correctionnalisationArticle publié le 1er septembre 2018
La correctionnalisation est une pratique consistant à rétrograder la qualification pénale d’un crime en délit.
Cette pratique est extrêmement controversée, et illégale, lorsqu’elle intervient au stade de l’instruction afin d’éviter le renvoi du mis en examen devant la cour d’assises. Très insatisfaisant, ce procédé n’a dans la majorité des cas qu’une seule justification : l’impossibilité matérielle de faire juger par une cour d’assises toutes les affaires criminelles. Un procès d’assises nécessite en effet de mobiliser d’importants moyens matériels, humains et financiers, or le nombre de sessions d’assises ne permet aujourd’hui pas aux cours d'assises d’absorber toutes les affaires pour lesquelles la loi pénale leur donne pourtant compétence exclusive. C’est ainsi que les parquets et les juges d’instruction sont contraints d’assurer une régulation du nombre d’affaires renvoyées devant la cours d’assises, afin de ne pas allonger les délais d’audiencement déjà extrêmement longs des affaires pour lesquelles une correctionnalisation est impossible (homicides, viols avec circonstances aggravantes, etc.). Une affaire qui aurait pu, et dû, être jugée sur deux ou trois jours devant une cour d’assises sera ainsi examinée, voire expédiée, en quelques heures par le tribunal correctionnel souvent appelé à juger de nombreux autres dossiers au cours de la même audience. La pratique de la correctionnalisation est particulièrement présente dans les affaires concernant des faits de viol, de violences ou de braquage. Ainsi, des faits initialement qualifiés de viol par le juge d’instruction seront finalement requalifiés à la fin de l’instruction en agression sexuelle, une tentative d’homicide en violences aggravées ou un braquage en vol avec violences dans le but, à chaque fois, d’éviter une mise en accusation devant la cour d’assises. Plus rarement, et de manière encore plus discutable, la correctionnalisation peut aussi concerner des affaires dans lesquelles l’accusation est fragile et fait craindre au parquet et au juge d’instruction un acquittement si l’affaire devait être soumise à un jury, considéré comme plus imprévisible que des magistrats professionnels. La correctionnalisation est généralement mal vécue par les parties civiles qui ont le sentiment, justifié, que les faits dont elles ont été victimes sont ainsi minimisés. Si elle n’est pas expressément prévue par la loi, puisqu’elle consiste précisément à la contourner, la correctionnalisation est en revanche implicitement traitée par les articles 186-3 et 469 du Code de procédure pénale. L’article 186-3 permet ainsi à la personne mise en examen et la partie civile d’interjeter appel de l’ordonnance du juge d’instruction qui renverrai devant le tribunal correctionnel des faits qui constituent en réalité un crime. La partie civile est ainsi impliquée dans la décision de correctionnalisation à travers la possibilité qui lui est offerte de s’y opposer. L’article 469 du Code procédure pénale limite cependant ce droit en prévoyant qu’il ne peut plus être exercé devant le tribunal correctionnel, si la victime s’était constituée partie civile au stade de l’instruction, qu’elle était assistée d’un avocat et qu’elle n’a pas fait appel de la décision de correctionnaliser les faits. Cela signifie donc que la partie civile qui a accepté la correctionnalisation au stade de l’instruction ne pourra plus revenir sur cette décision par la suite. En pratique, la correctionnalisation est généralement évoquée de manière informelle par le juge d’instruction avec la partie civile et son avocat avant de rendre une décision en ce sens. Elle concerne les affaires pour lesquelles le parquet et le juge d’instruction estiment que la lourdeur d’une audience devant la cour d’assises ne se justifie pas, et que la personne jugée n’est pas susceptible de se voir appliquer les peines maximales prévues par le code pénal en cas de maintien de la qualification criminelle des faits. Ce faisant, le juge d’instruction et le parquet opèrent ainsi une distinction entre les crimes « graves » et ceux qui le sont moins, qui n’est nullement prévue par la loi. Si elle est le plus souvent très difficilement vécue par les victimes, la correctionnalisation est généralement acceptée au regard de la promesse d’un jugement plus rapide. Le principal avantage de la correctionnalisation réside en effet dans le délai d’audiencement significativement plus court devant le tribunal correctionnel que devant la cour d’assises. En région parisienne, lorsque la personne mise en accusation n’est pas détenue il n’est ainsi pas rare de devoir attendre trois ans ou plus après la fin de l’instruction pour que l’affaire soit jugée devant la cour d’assises. Ce délai s’ajoute à celui de l’instruction, qui a généralement elle-même déjà duré plusieurs années, et peut ainsi conduire à ce qu’une affaire soit jugée cinq, six, sept ans ou plus après avoir débuté, sans que ce délai s’explique toujours la complexité du dossier. Au final, il est ainsi demandé à la victime de choisir entre une issue plus rapide de l’affaire en échange d’une atténuation juridique de la gravité des faits qu’elle a subis, ou bien une juste qualification au prix de plusieurs années d’attente et d’un procès d’assises qui interviendra parfois à un moment où celle-ci aura retrouvé un équilibre de vie. Conscient du caractère intenable de cette situation, le législateur peine néanmoins à trouver la solution à ce problème. L’option consistant en l’augmentation significative des moyens alloués aux cours d’assises pour traiter les affaires criminelles semble avoir définitivement été écartée. A la place, la solution qui sera testée dans une dizaine de départements à compter du 1er janvier 2019 est celle de la création d’une nouvelle juridiction, le tribunal criminel départemental, composée de magistrats professionnels siégeant sans jurés et compétents pour juger les crimes passibles de 15 à 20 ans de prison. Si cette solution consacre un système à deux vitesses distinguant les crimes les plus graves, jugés par les cours d’assises, et ceux moins graves qui seront orientés vers la nouvelle juridiction, elle reste préférable au statu quo actuel faisant peser sur les parties civiles le poids d’un choix qu’elles ne devraient pas avoir à faire. Elle contribuera cependant à porter un nouveau coup à la tradition républicaine voulant que les crimes les plus graves soient jugés par des jurés citoyens. |