Accès au dossier pendant la garde à vue, vers une transposition à minima de la directive du 22 mai 2013.
(Publié le 20 février 2014 par Le Cercle Les Echos)
(Publié le 20 février 2014 par Le Cercle Les Echos)
Le projet de loi présenté le 22 janvier dernier en Conseil des ministres révèle que le Gouvernement a décidé de procéder à une transposition très restrictive de la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales. Le texte ne prévoit ainsi toujours pas la possibilité pour l'avocat de consulter le dossier d'enquête pendant la durée de la garde à vue.
Le 30 décembre 2013, la 23e chambre du Tribunal correctionnel de Paris annulait pour la première fois une garde à vue, au motif que l'avocat du gardé à vue n'avait pu accéder au dossier de l'enquête pendant la durée de la mesure.
Ce jugement, abondamment commenté, tranchait de manière tellement radicale avec la jurisprudence habituelle de la 23e chambre, qu'il a été mis au crédit des magistrats civilistes qui assuraient alors les audiences de vacations des chambres pénales pendant les fêtes de fin d'année.
Pourtant, quelques jours plus tard à peine, le 3 janvier 2014, dans une décision beaucoup moins médiatisée et pourtant tout aussi importante, la 23e chambre récidivait en annulant un procès-verbal d'audition d'une personne gardée à vue dont l'avocat n'avait, là encore, pas pu consulter le dossier pendant la durée de la mesure.
Le tribunal, présidé cette fois par une magistrate pénaliste chevronnée, fondait sa décision d'annulation du procès-verbal litigieux sur l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ("CEDH").
Ces deux décisions, obtenues grâce à la persévérance du barreau pénal, sont intervenues quelques semaines avant la présentation du projet de loi de transposition de la directive du 22 mai 2012 sur le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
Cette directive vise à harmoniser, à l'échelle européenne, le niveau d'information dont doivent bénéficier les personnes faisant l'objet de procédures pénales, et traite plus particulièrement la situation des personnes qui, dans le cadre de ces procédures, sont temporairement privées de liberté.
La directive prévoit notamment (art. 7-1) que : "Lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les États membres veillent à ce que les documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat".
Appliqué en matière de garde à vue, cet article devrait donc permettre à l'avocat d'accéder, au grand minimum, au procès-verbal d'interpellation de la personne gardée à vue.
Ce procès-verbal contient en effet des informations essentielles sur les circonstances de l'interpellation et son cadre juridique, et devrait donc logiquement figurer parmi les premiers documents auxquels un avocat devrait pouvoir accéder pour contrôler la légalité de l'arrestation et de la détention.
L'accès au seul procès-verbal d'interpellation n'étant toutefois pas suffisant pour permettre à l'avocat d'assister effectivement une personne gardée à vue, c'est bien l'accès à l'entier dossier d'enquête que réclament aujourd'hui les avocats.
Las ! Le projet de loi de transposition présenté par Christiane Taubira le 22 janvier dernier se limite au final, dans son article 3 relatif à la garde à vue, à reformuler des droits existants déjà et à prévoir des modifications cosmétiques très éloignées des objectifs poursuivis par la directive du 22 mai 2012.
Ainsi, loin de prévoir l'accès, même restreint, de l'avocat à de nouveaux éléments du dossier d'enquête, le projet de loi se borne à instituer la possibilité pour la personne gardée à vue elle-même d'accéder... à sa propre notification de droits, à ses auditions et à son certificat médical!
On comprend difficilement en quoi cette nouvelle disposition, qui permettra à la personne gardée à vue de consulter des documents dont elle a par ailleurs aujourd'hui, à l'exception du certificat médical, déjà parfaitement connaissance, représente une quelconque avancée.
Les procès-verbaux de notification de droits et d'audition sont en effet actuellement systématiquement présentés à la relecture et à la signature des intéressés.
De plus, comme si le Gouvernement, impressionné par sa propre audace, craignait encore que ce nouveau droit d'accès à des pièces pourtant bien peu sensibles ne viennent perturber l'enquête, le texte précise que cet accès se fera "en temps utiles", en d'autres termes quand les enquêteurs l'autoriseront.
Dans l'étude d'impact accompagnant le projet de loi, l'absence de communication des pièces du dossier à l'avocat du gardé à vue est ainsi expliquée : "L’accès au dossier lors de la garde à vue ou lors du placement en détention provisoire est limité aux seuls documents en possession des autorités compétentes qui seraient nécessaires pour pouvoir contester la validité de l'arrestation selon la procédure prévue en droit national. Ces documents doivent être mis à disposition de la personne ou de son avocat. Il n'est pas prévu d'obligation de créer une voie de recours spécifique au stade de la garde à vue, de sorte que l’accès aux pièces du dossier à ce stade n’est pas impératif".
Cet argument semble d'autant moins recevable que l'article 7-1 de la directive prévoit clairement que les documents permettant à la personne de contester la légalité de sa détention doivent être mis à sa disposition "à n'importe quel stade de la procédure pénale".
Aussi, peu importe que la légalité de la garde à vue ne puisse, en l'état actuel du droit, être contestée que devant la juridiction d'instruction ou de jugement.
Sauf à prétendre que la garde à vue ne fait pas partie de la procédure pénale (ce qu'un professeur de droit suggérait il y a peu), l'accès aux pièces visées par l'article 7-1 devrait donc être garanti dès le début de celle-ci.
L'article 3 de la loi de transposition écartant cette possibilité ne respecte donc, pour le moment, ni les termes ni l'esprit de la directive, et plus particulièrement de son article 7.
Le projet de loi prévoit par ailleurs (art. 3 I. 4°) que la personne sera informée de son droit "si elle est présentée au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge des libertés et de la détention, en vue d'une éventuelle prolongation de la garde à vue, de demander à ce magistrat que cette mesure ne soit pas prolongée".
On ne peut s'empêcher, là encore, de s'interroger sur l'effectivité de ce droit, dès lors que la personne gardée à vue est, d'une part, privée de l'assistance de son avocat lors de cette présentation et, d'autre part, gardée dans l'ignorance du contenu exact du dossier d'enquête la concernant.
De surcroît, dans la grande majorité des cas, la première prolongation de garde à vue se fait en pratique sans présentation du gardé à vue au procureur, qui autorise celle-ci par écrit, de sorte que le droit de demander à ce que la mesure ne soit pas prolongée restera le plus souvent théorique.
Ce nouveau droit semble donc être un artifice supplémentaire visant à créer l'illusion qu'un semblant de contradictoire existe pendant la garde à vue, ce qui n'est pas la réalité.
Au final seul représente une maigre avancée le fait que la personne aura désormais droit non plus uniquement d'être informée "de la nature et de la date présumée" de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise, mais (art. 3 I. 2°) "de la qualification, de la date et du lieu présumé" et surtout "des motifs justifiant son placement en garde à vue [...]".
Selon la manière dont ce droit sera appliqué, la personne suspectée, et par extension son avocat, sera susceptible de connaître plus précisément, dès son placement en garde à vue, les raisons qui peuvent laisser penser aux enquêteurs qu'elle a participé à la commission de l'infraction.
La remise d'une liste écrite de ses droits à la personne placée en garde à vue prévue par le projet de loi (art. 3 I. 5°) est par ailleurs appréciable, mais elle n'est que la stricte reprise des dispositions de la directive.
Le projet de loi du 22 janvier 2014 démontre que le Gouvernement a pris le parti de procéder à une transposition la plus restrictive possible de l'article 7 de la directive, en maintenant le statu quo actuel sur la question essentielle de l'accès au dossier en garde à vue.
Ce faisant, le Gouvernement manque une opportunité de retrouver enfin l'initiative en matière de définition des contours d'une garde à vue respectueuse des exigences de l'article 6 de la CEDH sur le droit à un procès équitable.
Si le Parlement n'amende pas le projet de loi, il est probable que le droit d'accéder au dossier en garde à vue sera finalement imposé par la jurisprudence nationale et/ou européenne, comme l'a été, il y a trois ans, celui d'être assisté d'un avocat lors des auditions.
En l'état, le projet de loi de transposition ne prévoit en effet pas de droits qui permettent aux personnes placées en garde à vue d'accéder aux documents leur permettant de contester effectivement la légalité de leur arrestation ou de leur détention.
Dès que le délai de transposition de la directive aura expiré le 2 juin prochain, la France sera donc potentiellement de nouveau en défaut vis-à-vis de ses obligations européennes.
Il apparaît ainsi aujourd'hui de plus en plus clairement que le droit d'accès au dossier d'enquête en garde à vue devra, une nouvelle fois, être gagné dans les prétoires, comme la plupart des avancées majeures constatées en matière de garde à vue ces dernières années.
Ce jugement, abondamment commenté, tranchait de manière tellement radicale avec la jurisprudence habituelle de la 23e chambre, qu'il a été mis au crédit des magistrats civilistes qui assuraient alors les audiences de vacations des chambres pénales pendant les fêtes de fin d'année.
Pourtant, quelques jours plus tard à peine, le 3 janvier 2014, dans une décision beaucoup moins médiatisée et pourtant tout aussi importante, la 23e chambre récidivait en annulant un procès-verbal d'audition d'une personne gardée à vue dont l'avocat n'avait, là encore, pas pu consulter le dossier pendant la durée de la mesure.
Le tribunal, présidé cette fois par une magistrate pénaliste chevronnée, fondait sa décision d'annulation du procès-verbal litigieux sur l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ("CEDH").
Ces deux décisions, obtenues grâce à la persévérance du barreau pénal, sont intervenues quelques semaines avant la présentation du projet de loi de transposition de la directive du 22 mai 2012 sur le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
Cette directive vise à harmoniser, à l'échelle européenne, le niveau d'information dont doivent bénéficier les personnes faisant l'objet de procédures pénales, et traite plus particulièrement la situation des personnes qui, dans le cadre de ces procédures, sont temporairement privées de liberté.
La directive prévoit notamment (art. 7-1) que : "Lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les États membres veillent à ce que les documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat".
Appliqué en matière de garde à vue, cet article devrait donc permettre à l'avocat d'accéder, au grand minimum, au procès-verbal d'interpellation de la personne gardée à vue.
Ce procès-verbal contient en effet des informations essentielles sur les circonstances de l'interpellation et son cadre juridique, et devrait donc logiquement figurer parmi les premiers documents auxquels un avocat devrait pouvoir accéder pour contrôler la légalité de l'arrestation et de la détention.
L'accès au seul procès-verbal d'interpellation n'étant toutefois pas suffisant pour permettre à l'avocat d'assister effectivement une personne gardée à vue, c'est bien l'accès à l'entier dossier d'enquête que réclament aujourd'hui les avocats.
Las ! Le projet de loi de transposition présenté par Christiane Taubira le 22 janvier dernier se limite au final, dans son article 3 relatif à la garde à vue, à reformuler des droits existants déjà et à prévoir des modifications cosmétiques très éloignées des objectifs poursuivis par la directive du 22 mai 2012.
Ainsi, loin de prévoir l'accès, même restreint, de l'avocat à de nouveaux éléments du dossier d'enquête, le projet de loi se borne à instituer la possibilité pour la personne gardée à vue elle-même d'accéder... à sa propre notification de droits, à ses auditions et à son certificat médical!
On comprend difficilement en quoi cette nouvelle disposition, qui permettra à la personne gardée à vue de consulter des documents dont elle a par ailleurs aujourd'hui, à l'exception du certificat médical, déjà parfaitement connaissance, représente une quelconque avancée.
Les procès-verbaux de notification de droits et d'audition sont en effet actuellement systématiquement présentés à la relecture et à la signature des intéressés.
De plus, comme si le Gouvernement, impressionné par sa propre audace, craignait encore que ce nouveau droit d'accès à des pièces pourtant bien peu sensibles ne viennent perturber l'enquête, le texte précise que cet accès se fera "en temps utiles", en d'autres termes quand les enquêteurs l'autoriseront.
Dans l'étude d'impact accompagnant le projet de loi, l'absence de communication des pièces du dossier à l'avocat du gardé à vue est ainsi expliquée : "L’accès au dossier lors de la garde à vue ou lors du placement en détention provisoire est limité aux seuls documents en possession des autorités compétentes qui seraient nécessaires pour pouvoir contester la validité de l'arrestation selon la procédure prévue en droit national. Ces documents doivent être mis à disposition de la personne ou de son avocat. Il n'est pas prévu d'obligation de créer une voie de recours spécifique au stade de la garde à vue, de sorte que l’accès aux pièces du dossier à ce stade n’est pas impératif".
Cet argument semble d'autant moins recevable que l'article 7-1 de la directive prévoit clairement que les documents permettant à la personne de contester la légalité de sa détention doivent être mis à sa disposition "à n'importe quel stade de la procédure pénale".
Aussi, peu importe que la légalité de la garde à vue ne puisse, en l'état actuel du droit, être contestée que devant la juridiction d'instruction ou de jugement.
Sauf à prétendre que la garde à vue ne fait pas partie de la procédure pénale (ce qu'un professeur de droit suggérait il y a peu), l'accès aux pièces visées par l'article 7-1 devrait donc être garanti dès le début de celle-ci.
L'article 3 de la loi de transposition écartant cette possibilité ne respecte donc, pour le moment, ni les termes ni l'esprit de la directive, et plus particulièrement de son article 7.
Le projet de loi prévoit par ailleurs (art. 3 I. 4°) que la personne sera informée de son droit "si elle est présentée au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge des libertés et de la détention, en vue d'une éventuelle prolongation de la garde à vue, de demander à ce magistrat que cette mesure ne soit pas prolongée".
On ne peut s'empêcher, là encore, de s'interroger sur l'effectivité de ce droit, dès lors que la personne gardée à vue est, d'une part, privée de l'assistance de son avocat lors de cette présentation et, d'autre part, gardée dans l'ignorance du contenu exact du dossier d'enquête la concernant.
De surcroît, dans la grande majorité des cas, la première prolongation de garde à vue se fait en pratique sans présentation du gardé à vue au procureur, qui autorise celle-ci par écrit, de sorte que le droit de demander à ce que la mesure ne soit pas prolongée restera le plus souvent théorique.
Ce nouveau droit semble donc être un artifice supplémentaire visant à créer l'illusion qu'un semblant de contradictoire existe pendant la garde à vue, ce qui n'est pas la réalité.
Au final seul représente une maigre avancée le fait que la personne aura désormais droit non plus uniquement d'être informée "de la nature et de la date présumée" de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise, mais (art. 3 I. 2°) "de la qualification, de la date et du lieu présumé" et surtout "des motifs justifiant son placement en garde à vue [...]".
Selon la manière dont ce droit sera appliqué, la personne suspectée, et par extension son avocat, sera susceptible de connaître plus précisément, dès son placement en garde à vue, les raisons qui peuvent laisser penser aux enquêteurs qu'elle a participé à la commission de l'infraction.
La remise d'une liste écrite de ses droits à la personne placée en garde à vue prévue par le projet de loi (art. 3 I. 5°) est par ailleurs appréciable, mais elle n'est que la stricte reprise des dispositions de la directive.
Le projet de loi du 22 janvier 2014 démontre que le Gouvernement a pris le parti de procéder à une transposition la plus restrictive possible de l'article 7 de la directive, en maintenant le statu quo actuel sur la question essentielle de l'accès au dossier en garde à vue.
Ce faisant, le Gouvernement manque une opportunité de retrouver enfin l'initiative en matière de définition des contours d'une garde à vue respectueuse des exigences de l'article 6 de la CEDH sur le droit à un procès équitable.
Si le Parlement n'amende pas le projet de loi, il est probable que le droit d'accéder au dossier en garde à vue sera finalement imposé par la jurisprudence nationale et/ou européenne, comme l'a été, il y a trois ans, celui d'être assisté d'un avocat lors des auditions.
En l'état, le projet de loi de transposition ne prévoit en effet pas de droits qui permettent aux personnes placées en garde à vue d'accéder aux documents leur permettant de contester effectivement la légalité de leur arrestation ou de leur détention.
Dès que le délai de transposition de la directive aura expiré le 2 juin prochain, la France sera donc potentiellement de nouveau en défaut vis-à-vis de ses obligations européennes.
Il apparaît ainsi aujourd'hui de plus en plus clairement que le droit d'accès au dossier d'enquête en garde à vue devra, une nouvelle fois, être gagné dans les prétoires, comme la plupart des avancées majeures constatées en matière de garde à vue ces dernières années.